Loti sur le globe du temps
Regards sur l’œuvre de Pierre Loti et son écho au XXIe Une collecte d’informations dans laquelle il puise la chair de ses romans et de ses récits.
Coureur d’océans, de continents et de rencontres amoureuses, Pierre Loti (1850-1923) a passé sa vie autant à assouvir sa soif de découverte qu’à se prouver qu’il pouvait aller au bout de ses passions. Ne faisait-il pas dire à un de ses personnages « j'ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale... » (Aziyadé, 1879). Romancier
Ce n’est qu’un « au revoir ». Dernière soirée indienne à Delhi, avec Marie-Chanel Gillier, directrice d’Ekayana travel, la bonne fée organisatrice de notre périple. Nous repartons avec plein de notes et de photos pour écrire le livre et préparer l’exposition. Nous faisons la promesse de revenir débattre de Pierre Loti, de l’orientalisme, de l’exotisme et du voyage, dans les universités et les réseaux de l’Institut français et de l’Alliance française.
Importance de l’individu. Rencontre avec Vishakha Sen, de l’université de Lucknow, qui a publié Embracing the Orient, undoing the Occident: Cultural Study of Pierre Loti’s India dans l’International Journal Of English and Studies (IJOES, Londres). Elle estime que Pierre Loti apporte, comme Mohandas Gandhi et Rabindranath Tagore une perception individuelle de la réalité indienne, chose rare dans une société où prime l’approche familiale et sociétale.
L’effroi ou la joie intérieure. « Et le silence du seuil prend je ne sais quoi de spécial et de terrible ; rochers ou grandes formes humaines, angoisses pétrifiées, agonies en suspens depuis plus de dix siècles, tout est baigné dans ce silence-là, on s’écoute respirer… » Les grottes d’Ellora sécrètent chez Pierre Loti de l’épouvante, pour nous elles témoignent de la piété de ceux qui les ont creusées et qui ont su, par leur art du lieu, installer la sérénité propre aux lieux de culte(s).
Intellectuelle francophile et francophone. Kanchana Mukhopadhyay est éditrice, libraire et écrivaine. Pierre Loti est dans son collimateur de recherche sur l’Inde dans le regard des écrivains voyageurs occidentaux au fil des siècles. Elle a lu P. Loti en bengali, en anglais, en français.
Ville lotienne 2. Les bibliothèques du Collège Saint Xavier (jésuite) archivent quatre livres de Pierre Loti : Figures et choses qui passaient, Pêcheur d’Islande et L’Inde (sans les Anglais) avec sa traduction en anglais, India.
Ville lotienne. Il n’y a passé que quatre jours mais Bombay garde le souvenir du passage de Pierre Loti. Grand moment d’émotion au Cercle littéraire de Bombay quand Stéphane Doutrelant, directeur de l’Alliance française nous a présenté le livre d’or du Cercle où nous avons pu lire « Bombay 29 mars 1900 » signé « Pierre Loti ».
Se revoir bientôt. Pierre Loti a vu les derniers travaux d’agrandissements du palais des maharadjas d’Udaipur. En l’absence du maharadja en titre et de son héritier, nous sommes reçus par le Dr Mayank Gupta, directeur des relations publiques au palais. Rendez-vous est pris pour chercher une trace de Loti dans les archives et pour se retrouver l’an prochain au château de Chambord où seront exposées des pièces de la collection d’Udaipur.
Mille-feuilles religieux. À Ajmer, les ruines d’Adhai Dinka Jhonpra, une ancienne mosquée de la fin du XIIe, dissimulent celles d’un ancien temple jaïn du VIIe et d’un collège sanskrit du début du XIIe.
Temps suspendu. Pushkar fusionne une ville sainte, une ville récréative pour les adeptes du chanvre indien et une ville refuge pour les déserteurs israéliens. L’ambiance de respect décontracté qui y règne laisse envisager une société tolérante qui devrait inspirer notre époque.
Métier d’art. Au pied du fort Amber, l’atelier de Brigitte Singh est le dernier à créer et imprimer les tissus à la planche et au tampon. On sent d’abord l’encre, on entend ensuite le coup sec et régulier de la main sur le tampon, posé bien à plat sur le tissu tendu. Précision du geste, qualité de l’outil, « nous avons un bon instrument à transmettre » confie la créatrice.
Orientalisme en question. À Jaïpur, discussion sur l’orientalisme et l’exotisme avec Saudamimi Deo, écrivaine et traductrice hindi-anglais. Elle prépare un livre sur le culte de la déesse Kali à paraître prochainement en France dans la collection Terre Humaine/Plon.
L’ombre du passage de Loti. Directrice du musée du City Palace de Jaïpur, Rima Hooja nous explique que vraisemblablement Pierre Loti fût reçu au Palais de Bienvenue, lieu privilégié de réception des étrangers. Elle va lancer une recherche dans les archives pour identifier les traces éventuelles du passage de Loti à Jaïpur.
Coup double. Agra peut s’enorgueillir de deux splendeurs architecturales : le fort rouge et le Taj Mahal. On peut admirer la seconde d’un balcon de la première. Du « Taj » Pierre Loti disait « Il devrait faire sombre là, et il fait clair, comme si toutes ces blancheurs rayonnaient, comme si ce grand ciel de marbre, taillé à mille facettes, avait on ne sait quelle vague transparence ».
Trek bovin. Est-ce pour dire bonjour aux canards, aux tigres, aux éléphants de la frise du fort que des vaches se chargent de l’entretien des espaces verts autour du palais Mân Singh, à Gwalior ? Comme nous, elles ont dû monter le raidillon qui donne accès à ce splendide domaine royal s’étendant sur 2,5 kilomètres de long et 800 mètres de large. Par un sentier beaucoup plus étroit que celui d’aujourd’hui, Pierre Loti y est monté à dos d’éléphant, ce qui est une forme de vue cavalière.
Diwali. Le directeur du Deo Bagh, notre hôtel à Gwalior, nous a invité à fêter diwali avec toute son l’équipe. Beau cadeau et beau moment que de partager le recueillement de nos hôtes.
Spiritualité et changement climatique. Le Gange n’a jamais été si haut en cette saison à Varanasi. Le fleuve lèche le haut des quais rendant impossible une promenade sur sa rive sainte et la navigation. Il faut s’enfoncer dans le labyrinthe des ruelles pour passer de ghat en ghat. Mais rien n’arrête la démarche spirituelle des 10 000 pèlerins quotidiens qui viennent se purifier dans les eaux troubles du Gange
Épouser le rocher. Golconda domine Hyderabad. C’est une forteresse qui a été construite en composant remarquablement avec le granit de la falaise. Nous retrouvons l’angle exact de la photographie faite par Pierre Loti. Golconda fut longtemps une ville importante sur la route des caravanes qui reliaient Delhi à l’Iran. Les joailliers de Golconda ont acquis une réputation mondiale dans la taille des diamants extraits des mines de la région, celle des pierres précieuses venant d’Iran et aussi le travail des perles venant de la côte Est de l’Inde, de Polynésie et du Japon.
Éclaireur. En arrivant à Hyderabad, nous allons voir Samuel Berthet, directeur de l’Alliance française, fin connaisseur de l’Inde - il a fait sa thèse sur les relations franco-indiennes 1877-1962 – et de la littérature de voyage, toujours prêt à partager son savoir.
Gingembre. Le soleil baissait sur l’horizon, nous marchions dans Bazar Road à Matancherry, un vieux porche, éprouvé par les ans et le climat attira notre attention. Il nous a suffi de le franchir pour découvrir une cour aux épices où des femmes et des hommes achevaient la mise en sac de gingembre fraichement récolté. Gestes précis, parfum de gingembre, couleurs des saris et des murs, sourires des ouvriers, faisaient monter en nous un dépaysement des plus doux, où le souvenir de rêves exotiques se mêlait à celui de récits de voyages. Nimbé de poussière de gingembre, nous flottions dans une réalité longtemps fantasmée.
Un musulman gardien de la mémoire juive. Tahar Ibrahim vendait des cartes postales dans la rue. Sarah Cohen tenait la dernière boutique juive de Matancherry. Elle a pris Tahar sous son aile, lui a appris la broderie et finalement lui a transmis son affaire. Depuis la disparition de Sarah Cohen, en 2019, Tahar a constitué un petit musée à la mémoire de Sarah et de son mari Jacob, dans un coin de la boutique. Sa conscience de l’importance de conserver et transmettre, lui fait archiver tout ce qu’il peut trouver – depuis 1800 -- sur les juifs de Cochin.
À la rame. Depuis Trivandrum, Pierre Loti rejoint Kochi à bord d’une grande barque mue par quatorze rameurs. Ils naviguent sur le canal de Trivandrum à Alleppey puis sur la lagune. Restant fidèle à l’itinéraire de Loti, nous naviguons sur une journée sur les canaux et la lagune. Découverte d’un milieu naturel et d’un mode de vie qui sont aussi un atout touristique menacé par la sur-fréquentation.
Décoration. Au nom du gouvernement français, le 24 décembre 1899, Pierre Loti remet la croix de chevalier dans l’ordre des Palmes académiques au maharadja du Travencore, Sir Moolam Thirunal Rama Varma. Retenu ailleurs, l’actuel maharadja, Sir Moolam Thirunal Rama Varma VI, a confié à la Princesse Gouri et à Chemprol Raja Raja Varma le soin de nous recevoir.
Le début de l’aventure. C’est ici, à Tuticorin que Pierre Loti débarque le 19 décembre 1899, en provenance de Marseille via Djibouti et Colombo. Le port actuel, moderne, n’existait pas. Vraisemblablement, Pierre Loti est arrivé à l’actuel port de pêche. À côté, le dernier chantier de construction navale sachant encore faire des kotia a attiré mon attention et m’a permis de faire quelques photos dans ce kotia en réparation.
École spirituelle. Dans la banlieue de Madurai, le temple Thiruparapudrom abrite une école brahmanique. Elle est ouverte aux hommes de tous âges, dès l’instant qu’ils sont hindou et du Tamil Nadu. Les études sont gratuites et durent six ans. Les étudiants sont logés et nourris gratuitement.
Chevaux protecteurs. En pleine campagne près du village de Namunasamudram, dans l’état du Tamil Nadu, nous avançons dans un chemin de terre gardé par des centaines de chevaux en terre cuite menant au sanctuaire d’Ellangudipatti . Une armée animale offerte au dieu pré-hindou Ayyadar pour protéger les villageois. Un exemple touchant de l’animisme de cette région.
369. C’est le nombre de marches qu’il faut monter pour accéder au temple au sommet de Fort Rock. Les pèlerins sont à hauteur des milans noirs. Les singes et les écureuils aussi.
Une porte de mémoire. D’une terrasse de Sri Rangam, nous admirons le plus grand gopuram (73 m) du pays celui du temple Sri Ranganathaswamy, et, au loin, le Vellayi gopuram de la porte Est, dont Raja, notre guide, nous explique qu’il est l’hommage au courage et au sacrifice de la femme qui stoppa ma mise à sac de la ville par l’armée du sultanat de Delhi, en 1323. C’était une Devadasi nommée Vellayi qui - pour empêcher les soldats de s’emparer des idoles de Namperumal et Pillail Lokacharya - dansa avec beaucoup de séduction devant le commandant de l’armée. Il l’a suivit en haut du gopuram, elle le poussa dans le vide avant de sauter elle-même. Sans chef les soldats se replièrent. Depuis, le gopuram est peint en blanc, couleur du deuil.
Bénédiction. Ce matin, dans la banlieue de Trichy, Dominique est bénie par une éléphante dans une cour où de nombreux brahmanes conduisent les cérémonies de deuil.